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Haut Mbomou Haut'n line
14 mars 2011

L’Armée de résistance du Seigneur : les tueurs de l’apocalypse

Le_MondeJoséphine a été kidnappée à l’âge de 17 ans, alors qu’elle partait chercher de l’eau pour sa famille. C’était en avril 2009, dans la région du Haut-Uélé dans le nord de la République “démocratique” du Congo (RDC). Elle savait que la LRA, la Lord’s Resistance Army, ou l’Armée de résistance du Seigneur, écumait l’Afrique centrale. Elle avait entendu parler des massacres et des enlèvements qui étaient perpétrés lors des attaques de ce groupe armé ultraviolent.

Mais Joséphine – les prénoms ont été modifiés – était restée. Elle n’avait pas d’autre choix. Avec d’autres villageois arrêtés en même temps qu’elle, elle a ensuite marché pendant deux mois à travers les forêts et les marécages, jusqu’à la frontière poreuse qui sépare le Soudan et la Centrafrique. « Parfois, on ne mangeait pas pendant deux jours, raconte-t-elle. Puis nous sommes arrivés dans un camp et on m’a dit : “Maintenant, tu es à lui !” »

Lui, il avait une quarantaine d’années. C’était un chef craint et respecté au sein du groupe. « Je lui appartenais, mais il devait me protéger, explique Joséphine. Un jour, je lui ai demandé pourquoi il tuait des gens. Il m’a répondu qu’il était un soldat et qu’il devait obéir aux ordres sinon il serait tué à son tour… Personne d’autre ne m’a touchée : celui qui convoite l’épouse d’un autre est très sévèrement puni. » 

Lors des attaques de villages, ses soldats – parfois âgés d’une dizaine d’années – kidnappent, violent, mutilent ou massacrent. Et au fil des années, des décennies, ce déchaînement de violence est même devenu la « signature » de ce groupe de rebelles. 

« La LRA capture des civils pour plusieurs raisons, explique Alexis Mbolinami, président de la Jupedec (Jeunesse unie pour la protection de l’environnement et le développement communautaire), une ONG centrafricaine qui recueille d’anciens enfants-soldats. Elle le fait pour leur faire porter le butin des pillages, puis en faire des boucliers humains autour de ses chefs. Quand elle capture de jeunes garçons, la LRA les transforme en enfants-soldats. Les filles ? Elles deviennent des esclaves sexuelles… »

 

 

Le droit d’avoir une femme au sein de la LRA se gagne lors des attaques de villages, en montrant sa « bravoure » ou sa cruauté. « Mais il arrive aussi que ceux qui kidnappent plusieurs filles aient le droit d’en garder une, ajoute Alexis Mbolinami. De nombreux viols sont également commis lors des attaques…»

La vie d’une jeune femme kidnappée se résume souvent à servir un homme qu’elle n’a pas choisi. La sédentarité des groupes ne dure que quelques semaines, le temps de perpétrer des attaques dans les villages alentour. « On se déplace tout le temps, du matin au soir, et parfois pendant des mois », assure Joséphine. Des règles très strictes régissent la vie de la communauté. Celui ou celle qui ne s’exprime pas en acholi, la langue parlée par Joseph Kony, chef suprême de la LRA, peut être battu à mort.

La sorcellerie et le fétichisme font partie intégrante du quotidien. Après un rite initiatique fait d’incantations et de cataplasmes, il est expliqué aux civils capturés que, s’ils tentent de s’enfuir, « leurs pieds se mettront à gonfler au point de les empêcher de marcher, et qu’il sera alors très facile de les retrouver », explique Joséphine.

La peine encourue pour ceux qui ont tenté de s’évader va de la brûlure à la condamnation à mort : par crucifixion ou à coups de gourdins répétés sur le crâne. C’est le règne de l’absurde, de l’inhumain. « Ils peuvent donner de la nourriture à quelqu’un et l’égorger cinq minutes plus tard, assure Joséphine. Une fille de 16 ans avait été capturée enceinte. Quand elle a accouché, les chefs l’ont forcée à broyer son bébé avec un pilon puis à le manger…»

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Philippe, 26 ans, se présente comme un ancien combattant de la LRA. Il s’exprime lentement, le regard fixe et les bras croisés en permanence. Ce gaillard avait 23 ans quand il a été capturé dans l’est de la Centrafrique. Il a passé deux ans et demi dans ce chaos où, au cours de séances dites « de vaccination », il a été drogué « pour devenir plus fort » et pouvoir tout endurer.

Dans le campement dit « Daga-Daga », on lui a appris le maniement des armes. On lui a également fait subir un rigoureux processus de déshumanisation. « Quand ils vous montrent un humain par exemple, ils vous tapent dessus avec des gourdins jusqu’à ce que vous leur disiez : “ceci est un animal !”, raconte-t-il. Ils disent aussi que pour devenir un vrai soldat, il faut être capable de torturer son père et sa mère…»

Selon le Haut-Commissariat de l’ONU pour les réfugiés en octobre 2010, la LRA « aurait massacré 2000 personnes, enlevé plus de 2600 et déplacé plus de 400 000 » en RDC, en Centrafrique et au Sud-Soudan. Dans quel but ? A sa création, l’Armée de résistance du Seigneur entendait renverser le pouvoir en Ouganda. Si on sait qu’elle s’appuie sur des thèses millénaristes, ses objectifs restent aujourd’hui mystérieux.

Selon un câble diplomatique révélé par WikiLeaks et publié par Le Monde (du 17 décembre 2010), la LRA pourrait bénéficier d’une aide militaire et financière du Soudan. Pour le reste, la seule certitude est que Joseph Kony est bien le chef de cette rébellion ougandaise, le gourou. Recherché par la Cour pénale internationale (CPI) pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité, il se trouvait en octobre 2010 au Darfour, dans l’ouest du Soudan.

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« D’après les rebelles darfouris du Mouvement pour la libération et la justice, il serait aux alentours de la localité de Daffak, où une attaque a eu lieu le 2 septembre », assurait, fin 2010, Ned Dalby, analyste de l’Afrique centrale pour l’institut de recherche International Crisis Group.

L’armée ougandaise, lancée à ses trousses, y compris sur le territoire centrafricain avec l’accord des autorités, n’a pas l’autorisation du gouvernement soudanais pour le poursuivre au Darfour. « C’est sans doute l’une des raisons pour lesquelles le chef rebelle est allé là-bas, croit savoir Ned Dalby. Il espère peut-être y recevoir un soutien du président soudanais Omar Al-Bachir, également recherché par la CPI pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide. Dans les années 2000, ce dernier avait utilisé la LRA pour lutter contre la rébellion du Sud-Soudan. »

Fin novembre 2010, Barack Obama a informé le Congrès américain de la stratégie mise en place par son administration pour aider les Etats de la région à désarmer la LRA et traduire ses chefs en justice. François Bozizé, réélu président de la République centrafricaine, en février, au terme d’un scrutin vivement contesté par l’opposition, a appelé « à combattre cette rébellion comme une organisation terroriste, comme Al-Qaida ».

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Mais pour l’heure, Joseph Kony (ci-dessus) et ses principaux lieutenants restent insaisissables. Son armée, évaluée à près de 300 ou 400 soldats, serait scindée en plusieurs dizaines de groupes extrêmement mobiles. Et le territoire sur lequel ils se déplacent est immense, marécageux, souvent impénétrable. Jeudi 24 février, six soldats de l’armée de la RDC et trois civils ont été tués dans le district du Haut-Uélé, et cinq personnes ont été enlevées, selon l’Agence France-Presse.

Joséphine a tenté à deux reprises de s’évader des camps de la LRA. Elle porte encore sur un bras les stigmates d’une première tentative d’évasion. La deuxième, en octobre 2010, fut la bonne. Elle raconte avoir profité d’une attaque des Forces armées centrafricaines (FACA) et du mouvement de panique qui a suivi pour s’échapper.

La peur au ventre, elle a marché seule pendant deux jours dans la forêt avant de tomber sur une piste et la suivre. Elle a ensuite été recueillie par des militaires puis acheminée début décembre à Bangui, la capitale de la République centrafricaine. Philippe, lui, s’est échappé en profitant d’un mouvement d’inattention de ses geôliers au printemps 2010. Dans le village où il est arrivé, il a raconté son histoire et a été hébergé quelques jours par les habitants. L’un et l’autre disent avoir tellement eu peur pendant leur évasion qu’à chaque instant, à chaque pas, ils ont pensé faire demi-tour… « J’aurais prétexté aux chefs que je m’étais perdu, confie Philippe. Je voulais repartir mais les villageois m’ont rassuré et m’ont expliqué que je ne devais pas y retourner…»

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Que faire des centaines de civils qui, comme Joséphine et Philippe, ont pu sortir de l’enfer de la LRA ? « Il faudrait les garder plusieurs semaines, voire plusieurs mois, dans un même bâtiment, avec un suivi psychologique, avance Alexis Mbolinami. Mais nous manquons cruellement de moyens…»

Joséphine a rejoint son village de RDC début février, ses proches pensaient qu’elle était morte quand elle leur a parlé au téléphone un mois plus tôt. Philippe a passé de longs mois à Bangui après son évasion. Il errait dans la capitale centrafricaine, raillé et harcelé par ses voisins qui avaient appris son parcours au sein de la LRA. Il y a quelques semaines, il est finalement retourné dans son village et a pu retrouver les siens. Quand nous l’avons rencontré, début 2011, Philippe portait un tee-shirt de la Journée mondiale des réfugiés sur lequel on pouvait lire un beau slogan chargé d’espoir : « J’ai tout perdu mais l’avenir m’appartient. » Lui, rêve de tourner une page sur son passé, mais des cris et des images ancrés dans sa mémoire l’empêchent de vivre.

 

Pierre Lepidi

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