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Haut Mbomou Haut'n line
29 mars 2011

L'Armée de résistance du Seigneur terrorise le coeur de l'Afrique

Pax_ChristiL’Armée de Résistance du Seigneur, ou Lord’s Resistance Army, est un mouvement rebelle qui a été créé, il y a plus de 20 ans, par Josef Kony dans le Nord de l’Ouganda. Cette sanguinaire Armée peut se targuer d’être l’une des milices les plus violentes au monde, caractérisée par sa cruauté envers les civils et un recours intensif à l’enlèvement d’enfants pour en faire des soldats ou des esclaves sexuels.

L’objectif de Kony, prophète auto-proclamé, était à l’origine de renverser le régime du président ougandais, Yoweri Mouseveni, pour libérer la population ougandaise de la corruption, des péchés et de l'immoralité en la soumettant aux Dix Commandements de la Bible. Aujourd’hui, les observateurs ont plutôt le sentiment d’être face à un groupe éclaté, dont la stratégie est principalement tournée vers la survie et qui reste synonyme de terreur dans une régio qui dépasse de loin les frontières de l’Ouganda.

 

D’où vient ce mouvement ?

Pour comprendre l’origine de cette milice, il faut remonter à 1986 : Museveni (appuyé par son mouvement rebelle, la NRA) renverse par un coup d’état le gouvernement de Titi Okello qui avait lui-même succédé au cruel Idi Amin. Pour la première fois de l’histoire moderne, le pouvoir passe alors aux mains d’ethnies du Sud du pays, renvoyant l’ex-armée nationale du Nord à la rébellion. Dès cette époque, de lourds ressentiments opposent les militaires « nordistes » aux « sudistes » ; le pays est divisé.  

C’est alors qu’une grande mystique originaire du nord du pays, Alice Auma Lakwema, s’engage à lever une armée suite au message reçu d’un esprit lui ordonnant de combattre «le mal», à savoir le nouveau gouvernement ougandais. Elle créée à cette fin le mouvement Holy Spirit et réunit des milliers de combattants sous sa bannière mystique. Mais, dès 1987, ce groupe est neutralisé par Museveni et Alice Auma contrainte à l’exil en Tanzanie.

Joseph Kony entre alors en scène en tant que medium spiritiste héritier de Alice. Reprenant le flambeau de cette mission sacrée de « libération » de l’Ouganda, il cherche alors des appuis auprès des petits groupuscules armés dispersés sur le territoire, ainsi qu’au sein de la population acholi du nord qui craint la violence du gouvernement central de Kampala. Il nomme son mouvement rebelle l’ Armée du Seigneur, pour refléter ses vues d’inspiration biblique et son intention de mener la population ougandaise vers plus de moralité et de vertu.

L'Armée de résistance du Seigneur terrorise le coeur de l'Afrique

Des objectifs politiques mais des moyens sauvages

Alors que les bases de son discours ont pu un temps sembler compréhensibles, les moyens employés pour servir cette cause politique de guerre contre le gouvernement central de Kampala ne tardèrent pas à démontrer la folie du projet et la cruauté sans borne de son initiateur. En effet, dès que Kony se rendit compte que la population acholi ne souhaitait pas vraiment soutenir son combat ni y engager tous ses hommes vaillants, il se retourna contre ces gens ingrats et choisit de semer la terreur.

Pour grossir ses rangs de combattants courageux et respectueux, il se mit rapidement à enlever des enfants. Manipulés, drogués, couverts de grigris censés les rendre intouchables, des milliers d’enfants, plus crédules et serviles que des adultes, ont ainsi été envoyés au front et continuent à l’être. Certains sont parfois restés plus de 15 ans dans les rangs de ces troupes dont la violence a toujours été aussi bien dirigée contre les populations locales qu’en son sein même. Kony n’accepte en effet aucune dissidence. Le moindre écart dans ses rangs est puni par la mort et le système de pression morale et psychologique mis en place pour empêcher les combattants d’envisager la fuite est efficace.

Outre l’utilisation de la figure charismatique de Kony, l’élément central de ce système d’endoctrinement et de terreur est la généralisation des mutilations et des exécutions violentes comme mesures de rétorsion pour toute « faute » commise. Le recours à l’extrême violence est tellement courant que chacun sait le prix qu’il paiera ou fera payer aux autres en cas de fuite. Ainsi, l’une des techniques de la LRA pour décourager les départs est d’enlever des groupes de personnes issus d’un même village ou d’une même école, par exemple. De cette façon, si l’un d’eux s’échappe, les autres du groupe se voient contraints, soit de tuer eux-mêmes le fugueur au cas où il serait rattrapé, soit de désigner la famille de celui-ci pour des représailles identiques, soit encore seront eux-mêmes tués car appartenant au même groupe que le fugueur. La terreur instaurée constitue donc un réel obstacle au désir de fuite. 

Ensuite, la peur d’être tués par les civils des villages où ils iraient se réfugier est également instrumentalisée. La violence apparemment gratuite envers la population civile à laquelle s’adonnent les combattants LRA sous les ordres de leurs supérieurs créée un fort sentiment de haine contre eux, qui rend presqu’impossible toute relation compréhensive de la population à l’égard de leurs tortionnaires, fussent-ils de simples « exécutants ». Un sentiment d’isolement est donc créé, qui rend malaisée l’idée même de la fuite. Les anciens combattants craignent également les soldats des armées officielles des divers pays où ils agissent. Les chefs de la LRA agitent habilement la menace d’empoisonnement ou d’exécution par les soldats nationaux pour emprisonner mentalement les combattants[1]. La peur d’être rejetés par leur propre communauté retient aussi un certain nombre de combattants de rentrer chez eux. Ils ont en effet parfois été contraints de tuer leurs voisins ou parents face à tout le village et n’imaginent pas le retour, préférant alors la ville principale au Nord, Gulu.

En 2005, la Cour Pénale Internationale a émis des mandats d’arrêt internationaux à l’encontre de cinq responsables de la LRA pour crimes de guerre et crimes contre l’Humanité. Le bilan des atrocités commises par Kony et ses acolytes est en effet effrayant. En Ouganda, plus de 2 millions de personnes ont été déplacées à cause de ce conflit. Mais, même dans les « villages protégés » créés à partir de 1996, la population a longtemps continué à être victime des attaques sauvages de la LRA. On estime à près de 25.000 les enfants enlevés entre Ouganda, Soudan, République Centrafricaine et RDC. Rien que dans ce dernier pays, depuis 2008, plus de 1500 personnes ont été tuées. Et les mutilations atroces ne se comptent plus.

La LRA, un problème ougandais ?

La LRA, bien que s’opposant officiellement au gouvernement ougandais depuis sa création, ne s’est pourtant pas contentée de martyriser la population de ce seul pays. Le Soudan a été impliqué dans le conflit dès 1994. Une base de la LRA avait à l’époque été installée au Sud-Soudan avec l’accord de Khartoum, qui se vengeait ainsi de l’appui accordé par les Ougandais aux rebelles de l’Armée populaire de libération du Soudan (SPLA) alors que ces derniers revendiquaient l’Indépendance pour le sud du pays. La liste des incidents ayant eu lieu à partir du moment où le Soudan accorda son soutien à la LRA est longue[2], mais cet appui faiblit à partir de 2001.

A partir de 2005, de petits groupes entrèrent en RDC, au niveau du Parc national de la Garamba, en Province Orientale. Ils s’y installèrent dans un premier temps relativement pacifiquement, pratiquant l’agriculture, le braconnage et, dans une moindre mesure, l’extraction minière. Il y eut peu d’exactions contre la population congolaise jusqu’à septembre 2008, lorsque la MONUC et les forces armées congolaises lancèrent une première opération « Rudia » (retour) contre eux, et que d’autres opérations armées suivirent. Les rebelles ougandais commencèrent alors à s’en prendre cruellement à la population civile congolaise, accumulant mutilations, viols, incendies de villages, enlèvements et autres actes aussi bien gratuits que sauvagement agressifs. Le mois de décembre 2008 a marqué un pic de violence à l’encontre des populations civiles : le massacre, perpétré dans plusieurs villages de l’est du Congo et du Sud Soudan, provoqua la mort de 900 civils en quelques semaines. Poursuivis par les militaires ougandais, les rebelles ont ensuite fui leur base du parc de la Garamba en groupes distincts, en commettant des exactions partout sur leur passage[3]. Cette situation perdure aujourd’hui et la population congolaise se retrouve, une fois de plus, victime d’un conflit qui ne la concerne pas. Un représentant de la société civile congolaise a ainsi déclaré, suite au massacre commis à le 25 décembre 2008 dans la ville de Faradje : « Le peuple congolais n’a rien à voir avec les raisons pour lesquelles la LRA se bat. C’est pourquoi le gouvernement ougandais devrait aussi fournir des réparations pour toutes les pertes humaines et matérielles que nous avons subies. »[4]

Aujourd’hui, la LRA n’est donc plus un grand mouvement agissant dans une zone bien délimitée mais un nombre indéterminé de petits groupes, indépendants les uns des autres, se déplaçant entre Soudan, RDC, République Centrafricaine et Ouganda. La violence exercée par ces groupes contre les populations civiles reste par contre une constante, malgré l’éclatement. Entre négociations de paix et répression militaire, les tentatives de résolution du conflit n’ont jusqu’à présent pas porté de réels fruits.

Neutraliser la LRA ?

La question que l’on ne peut manquer de se poser à ce stade est la suivante : Comment est-il possible que ce groupe, composé principalement d’enfants non « professionnels », n’ait pas encore été totalement neutralisé par la puissante armée ougandaise, alors que leur nombre et leurs moyens sont bien inférieurs ? En réalité, nombreux sont ceux qui s’interrogent sur la volonté du gouvernement ougandais de mettre un terme à la folie meurtrière de Koni et ses acolytes car ni les diverses « opérations » armées dans le Nord[5], ni les tentatives plus pacifiques régulièrement menées n’ont été concluantes. Ainsi, par exemple, les plus importants pourparlers de paix qui ont eu lieu à Juba (Sud Soudan) entre juillet 2006 et septembre 2008, avec l’appui de la Communauté internationale, se sont conclus, après deux ans de négociations, sur un refus de la part de la LRA de signer l’accord final.

Par ailleurs, en 2000, le parlement ougandais a adopté la Loi d’amnistie, qui instituait une Commission d’amnistie et des procédures pour accorder l’amnistie entre autres aux membres de la LRA. L’objectif étant d’encourager les combattants à quitter les rangs de la LRA sans crainte de répression pour les actes commis. Mais, là non plus, la position du gouvernement ougandais ne semble pas tout à fait claire. Si, selon les statistiques, 24 000 membres de la LRA ont été amnistiés depuis 2000, il reste que bon nombre des « certificats d’amnistie » n’ont pas été délivrés aux anciens combattants, de même que les « packages » de sortie, contenant un peu d’argent (125dollars), un matelas et autres éléments de première nécessité, qui semblent n’avoir été que rarement distribués[6].

De plus, autre élément problématique, de nombreuses pressions sont exercées sur les anciens rebelles pour qu’ils intègrent l’armée officielle et ce, afin de lutter précisément contre la LRA. Violence supplémentaire et, de fait, nouvel enlèvement, pour ces personnes traumatisées et souvent jeunes. Comme le notait un ancien combattant LRA : « L’armée ougandaise veut que les combattants LRA la rejoignent parce que nous sommes de bons soldats ». Le régime ougandais semble donc adopter une stratégie double : d’un côté il joue la carte des négociations de paix et de la lutte contre l’impunité, mais de l’autre la lutte contre la LRA permet de justifier la militarisation du régime qui constitue le fondement du régime de Museveni. L’instabilité maintenue dans la région permet également au gouvernement de rester acteur sur un terrain non négligeable : celui de l’exploitation illégale des ressources naturelles.[7]

Par ailleurs, puisque la LRA agit aussi dans de nombreux autres pays, le question de l’impunité est rendue plus complexe encore. En effet, la loi d’amnistie ne peut s’appliquer pour des crimes commis à l’extérieur et la justice ougandaise rechigne à traiter ces cas. Selon Human Rights Watch, « Personne n’a jamais été condamné pour des crimes commis par la LRA, bien qu’un membre de la LRA soit dans l'attente. À ce jour, les communautés touchées par la LRA à l’extérieur de l’Ouganda n’ont pas eu l’opportunité de demander réparation à aucun gouvernement ni devant aucun organisme de l’ONU pour les crimes commis à leur encontre ».[8]

Conclusion

On a rarement vu, dans l’histoire de l’humanité, un aussi petit groupe de personnes causer autant de souffrances que ne l’a fait la LRA en Ouganda et au Sud-Soudan pendant plus de 20 ans, et qu’elle ne continue maintenant à le faire en RDC et en République Centrafricaine.

La LRA compte entre 200 et 400 combattants armés, auxquels s'ajoutent quelques centaines de personnes enlevées. Elle n'a pas d'objectifs politiques cohérents, et ne dispose d'aucun soutien populaire. Depuis sa création, elle constitue une menace réelle bien plus importante pour les populations civiles que pour le gouvernement ougandais.

La population du nord de l’Ouganda s’est longtemps trouvée devant un terrible paradoxe : la majorité des troupes de la LRA étant constituée d’enfants enlevés de force, il lui était difficile d’envisager une solution militaire contre ses propres enfants. Il est toutefois urgent, alors que le problème est maintenant manifestement régional, qu’une stratégie de démobilisation efficace soit menée par le gouvernement, éventuellement avec l’appui des Nations-Unies. Ce conflit, largement sous-médiatisé, empoisonne en effet la vie de milliers de personnes dans quatre pays différents.

Rédigé le 29 mars 2011, par: Laure Malchair


Image : http://www.enoughproject.org/

 


[1] Too far from home, Enough Project, February 2011, p.6. – www.enoughproject.org

[2] Voir Wikipedia, article sur l’ « Insurrection de l’Armée de Resistance du Seigneur », consulté le 15 février 2011.

[3] IPIS, Cartographie des motivations derrière les conflits : Province Orientale (RDC), 17 mars 2010, pp.7-8.

[4] Human Rights Watch, Le chemin de la mort, 28 mars 2010.

[5] Mars 1991 : « Operation Nord », mars 2002 : « Iron Fist », mars 2004 : « Iron Fist II », septembre 2008 : « Rudia I », décembre 2008 : « Lightning Thunder », mai 2009 : « Rudia II ».

[6] Too far from home, Ibidem, p.7.

[8] Human Rights Watch, Le chemin de la mort, 28 mars 2010.

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